Durant les mois d’automne 2024, j’étais à l’École de Jardinage Bouregreg Med-O-Med, un projet de la Fondation de la Culture Islamique (FUNCI) situé sur les rives du fleuve Bouregreg à Salé, au Maroc.
Dans le cadre de ma thèse de doctorat au Département de planification urbaine et territoriale (DUyOT) de l’Université polytechnique de Madrid (UPM), nous avons convenu avec la direction et la coordination du centre de réaliser un atelier avec les étudiants du centre.
L’objectif de l’atelier était de mener à bien de petites interventions dans les espaces qui constituent la vie quotidienne de chaque étudiant.
Il suffit d’observer les villes jumelles de Rabat et de Salé depuis le ciel pour comprendre la raison de cette proposition. Rabat, située au sud du fleuve Bouregreg, est une ville beaucoup plus riche que Salé, située sur la rive nord du fleuve. Si l’on regarde la répartition des espaces verts, il n’est pas surprenant qu’ils soient tous concentrés à Rabat – y compris les parcs publics, ainsi que les communautés d’habitations individuelles paysagées.
Les élèves de l’école sont pour la plupart des jeunes en risque d’exclusion sociale, issus des quartiers précaires de la ville ou du pays. Il est donc paradoxal que ces filles et ces garçons soient formés à une discipline qu’ils semblent ne pouvoir pratiquer que dans des espaces qui, en raison de leur contexte social, ne leur sont pas accessibles.
Pour tenter de garantir l’accès à la nature dans tous les quartiers de la ville, quel que soit le niveau socio-économique, intervenir à partir et avec la vie quotidienne des stagiaires semble être le meilleur point de départ.
Avec l’aide du coordinateur pédagogique de l’école, Mounir Noubahi, nous avons terminé la conception et commencé à travailler avec les étudiants de troisième année, denier cours de formation.
Phase 1 : Atelier d’expression corporelle
La première phase a consisté en un atelier d’expression corporelle avec la danseuse marocaine Nezha Rhondali, dans le but de transmettre aux apprentis leur capacité d’action dans leur vie quotidienne et dans l’espace construit.
Pour parvenir à l’émergence d’interventions spatiales ayant une capacité de transformation, il était nécessaire de faire comprendre aux étudiants que le corps et l’espace sont un continuum. Un continuum dans lequel le lien que le corps entretient avec les écosystèmes, indépendamment du fait qu’il se trouve dans un espace construit, permet de transformer la réalité sociale et spatiale dans laquelle ce corps se déplace.
La meilleure façon de transmettre cette réflexion, qui repose sur une oikosophie phénoménologique, était l’expérience elle-même – le point central du travail avec Nezha, qui a été divisé en deux sessions. Lors de la première séance d’expression corporelle, l’accent a été mis sur la compréhension des effets sur le mouvement du contact du corps avec l’espace et avec d’autres corps dans cet espace. Dans la seconde session, l’accent a été mis sur la compréhension de la manière dont le corps lui-même, à travers sa connexion avec la nature et le mouvement libre généré ici, peut étendre les possibilités de mouvement dans l’espace.
Phase 2. Brève introduction au Land Art
Avant d’entamer le processus d’intervention dans la vie quotidienne des élèves, dans le but de stimuler leur créativité, ils ont assisté à un exposé sur les créations de Land Art. Plusieurs de ces créations artistiques ont été sélectionnées, dans lesquelles l’accent était mis sur les éléments naturels, à l’instar de la proposition de travail qu’ils devaient développer dans les semaines à venir.
Phase 3. Processus de cartographie sensorielle
Dans la troisième phase du processus, les étudiants ont été invités à dessiner leurs espaces quotidiens ou les espaces dans lesquels ils aimeraient intervenir. Il leur a été demandé de dessiner à partir du perceptif, de la sensibilité dont ils ont pris conscience grâce aux ateliers d’expression corporelle.
Au cours de cette phase, l’artiste marocaine Salma Ahddad a été invitée à présenter son travail. Salma est originaire d’un des quartiers de Rabat où l’accès à la nature est faible et de moins en moins fréquent. Dans son travail, elle réfléchit aux notions de mémoire et de mouvement. Il semblait donc approprié qu’elle s’adresse aux apprentis pour les inspirer dans la dernière phase de l’intervention.
Enfin, dans cette phase, afin d’encourager les élèves à faire leurs propres interventions, une petite performance collective avec des fleurs a été réalisée dans un bus. Le bus reliant les différents espaces où vivent les élèves à l’école est apparu dans plusieurs cartographies. Une apprentie a exprimé son intérêt pour l’inclusion de plus de nature dans ce parcours linéaire, ce que nous avons fait l’un des matins précédant l’atelier.
Phase 4 : conception et mise en œuvre des interventions
Dans cette dernière phase, les étudiants ont présenté les résultats de leurs actions. Bien que tous aient conçu une proposition d’intervention, ils ne l’ont pas tous mise en œuvre. Les trois interventions qui ont été réalisées, au moins dans la première phase, sont résumées ci-dessous.
4.1 (Re)végétalisation de l’espace bâti
L’une des étudiantes, originaire d’un de ces quartiers de Salé où la nature est très peu présente, a mené une intervention dans le but d’introduire plus de végétation dans son quartier. Elle a demandé à un voisin de lui prêter des pots de fleurs dans lesquels elle a placé différentes plantes et, avec l’aide des enfants du quartier, elle les a distribués de porte en porte.
4.2 Une infrastructure habitable
Deux apprentis ont décidé d’intervenir sur le dessous d’un pont reliant les villes de Rabat et de Salé. Ils ont réalisé qu’en raison de l’ingénierie délocalisée, qui se concentre sur les points de connexion au sol, les espaces résultant des interventions d’ingénierie sont déconnectés de la vie dans la ville.
Ils ont donc conçu une action de revégétalisation et de création d’une aire de jeux sur le dessous d’un pont, et ont été encouragés à réaliser une première action minimale pour symboliser le travail qu’ils souhaitent développer à l’avenir.
4.3 Le jardinage, un processus d’accueil
L’un des étudiants, un migrant subsaharien, a démontré ses connaissances approfondies en agroécologie lors de la conception d’une intervention dans l’école de jardinage elle-même.
Cet étudiant a commencé par une cartographie sensorielle dans laquelle il a expliqué le difficile processus de migration de son pays d’origine vers l’Espagne, un voyage au cours duquel les abus et les mauvais traitements à la frontière étaient devenus une constante.
Dans son exposition, il a expliqué un système d’agroécologie dans lequel, à partir d’espèces locales, on crée un écosystème favorable à l’introduction d’espèces étrangères, tropicales en l’occurrence.
Cette action se déroulera à l’école de jardinage en même temps que l’installation d’une tente conçue à partir de voiles de bateau. Elle est le résultat de mon propre processus d’exploration sensorielle de la ville et de la compréhension de l’importance de l’eau comme élément central de la mobilité dans les villes islamiques, dont les origines remontent à la tradition nomade des Amazighs originaires du désert du sud qui relie le Maroc aux pays subsahariens.
